Lettre de Deauville : l’art du « hug » et le déclin du cinéma américain

Publié le 9 sept. 2022 à 11:54Mis à jour le 9 sept. 2022 à 11:55

Depuis 1975, au fil des décennies, le festival du cinéma américain de Deauville a reçu les plus grandes stars : Robert Mitchum, Kirk Douglas, Robert Redford, Gregory Peck, Al Pacino, Clint Eastwood… Au cours des années 1990, il a pris ses distances avec le strass de Sunset Boulevard pour devenir le tremplin français d’un cinéma indépendant dynamique qui fleurissait à Sundance. Ainsi avec ses hauts et ses bas, Deauville trace-t-il le sismographe du cinéma américain et donc de l’Amérique elle-même.

A coeurs ouverts

Or, dans sa dernière ligne droite, la sélection 2022 témoigne de personnages déboussolés et épuisés, à commencer par les femmes. L’une perd son mari dans la fusillade d’un supermarché et tente de reconstruire sa vie (« Peace in the Valley » de Tyler Riggs), une autre se fait cloner avant de décider de tuer son double (« Dual » de Riley Stearns), deux décrochent de la drogue ou s’y emploient (« Stay Awake » de Jamie Sisley, « Blood » de Brad Anderson…), etc. Parmi les projets les plus originaux, « Aftersun » de Charlotte Wells se déroule en Turquie et met en scène des Ecossais tandis que dans « Watcher », Chloe Okuno filme un Bucarest infernal et que « The Silent Twins », premier long-métrage en langue anglaise d’Agnieszka Smoczynska, reconstitue les paysages du Pays de Galles en Pologne.

A quelques exceptions près (dont le merveilleux « Armageddon Time » de James Gray), les oeuvres purement américaines paraissent figées dans leur imagerie et leurs décors. En premier lieu : la ville secondaire où nul ne s’arrête. On a parcouru cent fois cette « Main street » dont le vide est souligné par un accord de guitare qui résonne dans le lointain. On a suivi l’ado solitaire entre les casiers des couloirs du lycée. On a passé des soirées dans le bar sinistre, éclairé de néons ocre et habité par un écho country distrait. Et combien de samedis au bowling, rythmés par le fracas des quilles ? Entre tous ces lieux familiers, on a fixé le ciel immense, horizon que les protagonistes aspirent à rejoindre sans y parvenir.

Ces films travaillent les mêmes valeurs : la bienveillance, le réconfort… Face à la violence du siècle, inlassablement, ce cinéma n’appelle qu’à ressouder les liens amicaux et familiaux à travers des conversations à coeur ouvert. Apogée de toute confidence : le « hug » où les personnages se serrent dans les bras les uns, les autres.

Certains cinéastes tentent d’échapper à ce schéma en se raccrochant au genre américain majeur : le western. Le raté « God’s Country » de Julian Higgins revisite la maison isolée, menacée par des rôdeurs machos et rustres. Le bois que l’on coupe à la hache dans le froid de l’hiver, la flèche de l’invisible archer… nous renvoient à l’ouest sauvage. L’impressionnante caméra d’or du festival de Cannes « War Pony » de Gina Gammel et Riley Keough, plonge dans les entrailles d’une réserve indienne. Il témoigne de la misère et surtout de l’humiliation des peuples amérindiens. On y retrouve une version moderne du ranch, avec son propriétaire adipeux et une superbe apparition de bison, fantôme d’un âge d’or perdu. Fantôme aussi d’un certain cinéma.

Cocktail magistral

À l’occasion de la publication de son ouvrage somme « Génériques » (en 3 volumes Ed. Jockers), Deauville offre cette année une « carte blanche » au critique et historien Philippe Garnier. Une sélection qui se poursuit à la Cinémathèque Française à Paris.

L’ancien pilier de l’émission « Cinéma Cinémas » a composé un cocktail magistral. Se distingue « Le grand chantage » d’Alexander Mackendrick (1957), un film d’une brutalité inouïe qui suit les vampires de la presse people dans les nuits de Times Square. Egalement new-yorkais et sans pitié, « La cité sans voile » (1948), de Jules Dassin décrit une enquête criminelle ordinaire qui nous conduit de la haute société aux bas-fonds de l’été brûlant. « La chevauchée des bannis » (1959) est un western fabuleux d’André de Toth où une bande de hors-la-loi attaque une bourgade isolée dans une tempête de neige.

Robert Ryan et Burl Ives dans « La Chevauchée des bannis » d'André de Toth.

Robert Ryan et Burl Ives dans « La Chevauchée des bannis » d’André de Toth.©DR

Ces films d’hier surprennent aujourd’hui par leur efficacité. Pas de digression, pas de plans inutiles, de sentimentalisme, d’explications psychologiques. Jamais de « hug ». « Hollywood Business », le passionnant documentaire diffusé en feuilleton au cours du festival, expliquait la crise structurelle qui frappe aujourd’hui l’industrie et siphonne sa créativité. Un jour, peut-être, les historiens détermineront que le déclin du cinéma indépendant a commencé dans la foulée, lorsque ses personnages prirent l’habitude de trouver des solutions aux intrigues en se serrant dans les bras. Le jury d’ Arnaud Desplechin dévoilera son palmarès ce samedi 10 septembre.

48e Festival de cinéma américain de Deauville

Festival

Jusqu’au dimanche 11 septembre. Rens. festival-deauville.com

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