« En visitant cette exposition, j’ai fait un tour de ma vie », confie avec émotion Sebastião Salgado, racontant chaque vibration ressentie en parcourant les images exposées aux Franciscaines, à Deauville (Calvados), pour l’exposition qui lui est consacrée. Des photographies qu’il a prises aux quatre coins du monde ces cinquante dernières années. « J’ai eu l’impression de remonter le temps », sourit-il.
Photographies en noir et blanc d’hommes et de femmes au travail, de mouvements migratoires, de paysages et communautés préservés, ces images racontent de grandes mutations « dont sont victimes les populations les plus fragiles, subissant les conflits et la pauvreté », rappelle Pascal Hoël, commissaire de l’exposition et responsable des collections de la Maison européenne de la photographie (MEP). Elles mettent en lumière aussi « les dérives tragiques, tant humaines qu’environnementales d’une société industrielle en voie de disparition ».
Des photographies issues des fonds de la MEP d’une profonde force graphique dont le photographe franco-brésilien aime raconter les histoires et les émotions, à cœur ouvert, mobilisant la mémoire de ses sens. Des récits et une exposition qui nous font voir le monde différemment, dans ses nuances de gris.
Un engagement de l’œil et du corps
« Être là, à 81 ans, encore vivant, c’est un privilège énorme », lâche-t-il, les larmes aux yeux. Sebastião Salgado raconte chacune de ses aventures photographiques avec les plaies invisibles de son corps, les séquelles de cet engagement sur le terrain. « En visitant l’exposition, je me suis retrouvé en face de la photo où j’ai perdu mon audition », confie-t-il. C’était l’époque de la guerre du Golfe au Koweït, quand les troupes de Saddam Hussein avaient mis le feu à plus de 600 puits de pétrole.
« C’était un moment terrible et sublime. Terrible parce que c’était la plus grande pollution. Il y avait des jours et des jours où n’avait pas de soleil. Mais à un moment, il y avait un coup de vent, le nuage partait, et laissait entrer un rayon de soleil », se souvient-il, tournant son regard vers le ciel. Sebastião Salgado se souvient de la « lutte féroce et héroïque » de ces hommes qui rentraient dans les puits de pétrole pour se battre contre les incendies. Il entend encore une musique enregistrée douze fois sur une cassette qu’il écoutait alors, et qu’il chante, telle la bande-son de son reportage. Dans son récit, la mémoire lui vient des sens. « Je pourrais raconter la même histoire pour chacun des reportages ».
Guerre en Angola et au Sahara espagnol, ravages de la sécheresse et de la famine au Sahel, mine d’or de Serra Pelada au Brésil, une Amérique latine parcourue, des travailleurs manuels, de grands mouvements de population dans le monde, l’exode vietnamien : pendant plus de 25 ans, le Brésilien s’est confronté « aux mouvements sociaux et politiques qui modifieront les équilibres du monde », mais aussi « à la fureur et aux tourments de l’humanité », résume le commissaire de l’exposition.
Parmi tous ces reportages au long terme, celui sur le génocide du Rwanda l’a marqué, profondément, jusqu’à l’intérieur de son corps.
C’était une des choses les plus dures que j’ai vécues. Voir mourir des milliers de personnes chaque jour au point qu’on ne peut plus les enterrer un par un. Au point que je suis devenu malade.
Cette plongée au cœur du génocide rwandais sera le déclic. « Le médecin que j’ai vu m’a dit que je n’étais pas malade, mais qu’à force de voir la mort, j’allais mourir ». Sur ses conseils, il arrête, et part se reposer au Brésil avec son épouse. « Combien de fois dans ma vie j’ai mis mes appareils de côté car c’était tellement dramatique, tellement violent, et j’étais seul », reconnaît celui qui n’a cessé d’être au chevet de la douleur et de la souffrance d’une humanité victime de la folie d’autres hommes.
Un hommage à la beauté et la fragilité de la planète
La période de doute et de désespoir qui suivra le Rwanda donnera naissance à un autre projet chargé d’espoir. « J’avais décidé d’arrêter d’être photographe, j’avais honte de faire partie des humains, cette espèce que j’avais photographiée et qui m’avait montré une telle violence ».
De l’ombre née la lumière. A cette époque, il se lance avec son épouse Lélia dans un nouveau projet, celui de réhabiliter l’environnement de la ferme familiale usée par des années de surexploitation et d’y replanter les arbres disparus. « On avait prévu d’en planter au moins 1,5 million d’arbres, aujourd’hui on en est à 3 millions, sourit-il. À la base, on voulait simplement planter une forêt, on n’était pas écologiste. Mais on l’est devenu. Tout ce qu’on fait, c’est la plus pure écologie ».
De cette aventure est né l’un de ses plus beaux projets photographiques, Genesis. De 2004 à 2012, il a effectué plus de 32 voyages, des Galapagos à l’Amazonie, en passant par l’Afrique et l’Arctique. Au cœur de l’exposition, on découvre ces photographies de terres vierges et intactes qui incarnent un « hommage à la beauté et la fragilité d’une planète restée à l’abri de la folie des hommes et qu’il est vital de préserver », comme le résume Pascal Hoël, mais pas seulement.
L’œil vif, un large sourire, Sebastião Salgado confie : « Le plus grand voyage que j’ai fait, c’est dans moi-même. J’ai découvert que je n’étais qu’une seule espèce en face de millions d’autres espèces aussi importantes ».
Jusqu’au 1er juin, aux Franciscaines, à Deauville. Tarifs : 13 € (plein), 8 € (abonné) ou 5 € (étudiant, moins de 26 ans et solidaire). Gratuit pour les jeunes de moins de 16 ans.
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