A Deauville, on s’active dans la salle Elie de Brignac-Arqana, à une centaine de mètres des Planches et à quelques pas de l’hippodrome. Ce n’est pas pour une des ventes de chevaux pur-sang – pour lesquelles ce site est l’un des plus connus au monde – mais pour un événement musical qu’elle accueille, grâce à son acoustique reconnue. Le 29e festival de Pâques de musique classique a ouvert le 12 avril dernier et le deuxième week-end est des plus attendus notamment avec la présence, ce vendredi 18 avril, du pianofortiste et claveciniste Justin Taylor, aujourd’hui ténor dans sa discipline, à à peine plus de trente ans.
Ce n’est pourtant pas sur la célébrité, toute relative d’ailleurs, des stars du classique que se base ce festival original, loin s’en faut, mais sur la découverte de nouvelles pépites recrutées (une petite dizaine par an) par « cooptation » par leurs aînés, autour d’un programme de musique de chambre. Mais c’est un fait : depuis sa création en 1996 par l’ancien journaliste Yves Petit de Voize avec les jeunes Renaud Capuçon et Nicolas Angelich parmi d’autres, la crème des nouvelles générations du classique s’y retrouve, par des formations allant du trio à l’orchestre.
Retour à la Salle Elie de Brignac-Arqana. A l’heure des répétitions ouvertes au public, l’image est saisissante d’un pianoforte de 1780 – l’ancêtre du piano, au nombre réduit d’octaves – au centre de la salle moderne en amphithéâtre, aux fauteuils en skaï aux tonalités mauve, rouge et orangées. Justin Taylor y répète la célèbre Fantaisie Kv 385g de Mozart, un bijou de tendre mélancolie et… de fougue. Le musicien la reprend pour nous, appuyant certains passages accélérés et d’autres presque en suspension.
« J’aime imaginer qu’on assiste presque à sa composition, comme si regardait par-dessus l’épaule de Mozart », nous explique-t-il. « Dans cette fulgurance d’idées, je trouve qu’il y a des idées très contrastées, il n’y a pas de caractère défini pour la pièce. Elle commence comme une improvisation, puis il y a un thème très mélancolique et à la fin il y a ces thèmes en majeur où tout s’éclaire, on est dans une scène presque printanière, guillerette, et ça se termine comme ça, inachevé… ». Le pianoforte sert à merveille cette pièce, par sa chaleur de son et surtout, ajoute le musicien, « un timbre centré sur les harmonies graves, qui véhicule une certaine nostalgie ».
Ce son si singulier est rapidement rejoint par celui des autres instruments anciens de l’excellent ensemble Sarbacanes qui se produit avec Justin Taylor. Au cœur du programme, le Quintette pour piano et vent de Mozart, qui fut pionnier dans cet assemblage d’instruments, toujours rare. Avec cette œuvre, le pianofortiste a découvert les questionnements auxquels sont confrontés les vents, et ils concernent la « forme » des sons : « la manière de développer les sons, d’attaquer, de terminer d’homogénéiser les timbres », dit-il. Avec l’hautboïste Gabriel Pidoux – vieux camarade de conservatoire et autre grand nom du festival de Pâques – la clarinettiste Roberta Cristini, le bassoniste Alejandro Pérez Marin et le corniste Alessandro Orlando, les répétitions sont un jeu de définition du son en même temps qu’une sorte de bœuf improvisé entre amis.
Puis la séance s’affine : « On est parfois forts, ici ? », le corniste. « Eventuellement, un peu plus de vocalité, un peu plus soyeux… Si c’est possible de rentrer plus piano », Justin Taylor, plus loin. Ruptures agressives, temps faibles… « Ah, le fa… J’adore ! A 32, pouvez-vous changer de nuances ? » Le son, puis les temps, on se questionne, on annote, on corrige, l’accordeur ne cesse de passer.
Le quintette de Mozart est lui-même un jeu d’équilibre, façonnant un dialogue instable entre le piano et les vents (tantôt en solos, tantôt en groupe homogène), selon les mouvements. Justin Taylor a l’image en tête : « C’est comme quand il y a une discussion, on peut être d’accord, pas d’accord, dire chacun la même chose mais de manière différente… ou s’accorder pour être pareils ».
20 heures. La Fantaisie de Mozart fait l’effet escompté, telle une pierre taillée sur mesure et en direct, bouleversant un public acquis en six minutes à peine. Et Justin Taylor de remercier le fondateur du festival qui, le premier en 2017, avait proposé au claveciniste confirmé de jouer sur un pianoforte. Un déclic aux conséquences majeures pour le jeune musicien. « C’était déjà sur ce pianoforte-là ». Un Baumbach de 250 ans. Les yeux avertis auront noté les « genouillères », sortes de pédales installées au niveau des genoux et non aux pieds de l’interprète, pédales de nuances indispensables à la délicatesse de la Fantaisie.
Avant de débuter le Quintette, l’hautboïste Gabriel Pidoux fait à son tour de la pédagogie en présentant chacun des instruments de l’ensemble Sarbacanes, datant de l’époque classique, très épurés et simples comparés à leurs équivalents d’aujourd’hui.
D’un coup, un parfum de bois sauvage émane de l’œuvre de Mozart – une pièce importante, que ce dernier considérait le « chef d’œuvre de sa vie », rappelle Gabriel Pidoux – notamment dans le premier mouvement. Avant un second, une douceur délicate jouant finement entre pianoforte et vents et un troisième dansant.
Le deuxième solo de Justin Taylor est une étonnante pépite de Carl Philipp Emanuel Bach (l’un des enfants de Bach, parmi les plus doués). « Il est entre deux styles, entre baroque et l’ère classique », dit Taylor à l’assistance, le sourire aux lèvres. Ces Douze variations sur les Folies d’Espagne pourraient désarçonner. Le public en est ravi. Sur un thème très courant à l’époque baroque, CPE Bach en fait une « rhapsodie », dit Taylor, « et en même temps, une pièce de doute, de recherche », qu’il interprète ici avec fougue sur des basses passionnantes et un doigté de la main droite rapide.
Le concert se conclut par un deuxième Quintette pour piano et vents, celui de Beethoven – qui s’est très certainement inspiré de celui de Mozart. Un régal pour le public qui savoure l’association des instruments vue cette fois par le prisme de l’Allemand. Car si le deuxième mouvement offre à chacun des instruments de l’orchestre de s’épanouir dans de grands solos, comme celui du cor d’Alessandro Orlando, remarquable, le troisième et dernier est une démonstration beethovénienne d’agilité pianistique digne d’un grand concerto. Avec son pianoforte de 1780, Justin Taylor a accepté le défi. Et l’a réussi.
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