A Deauville, l’appel du télétravail
L’air de la mer, la plage bardée de parasols colorés, les balades sur les célèbres Planches… Le tout à 2h30 de train depuis Paris. Après dix-huit ans passés à Prague, Cyril a choisi de s’installer définitivement à Deauville, en Normandie, lors de son retour en France au moment de la crise sanitaire. Déjà propriétaire d’une maison de famille, il n’a pas eu à se soucier de trouver un logement dans cette ville d’un peu plus de 3 500 habitants, où l’offre de locations à l’année se fait rare et où les maisons individuelles ont été prises d’assaut après le Covid. Le seul défi du père de famille a été de trouver un espace de coworking où passer ses journées de télétravail. « Ça a été très facile, et c’était bien plus avantageux que de louer un petit studio ou un bureau pour travailler », témoigne-t-il, conscient de la pression immobilière dans la région. Il y a quelques mois, Cyril a ainsi posé son ordinateur dans les espaces dédiés de You Are Deauville, lieu hybride proposant chambres d’hôtel, cinéma, salle de sport, bar-restaurant… Et bureaux partagés.
Officiellement ouvert juste après la pandémie, l’endroit ne désemplit pas. « Depuis trois ans, il existe une très forte demande concernant le télétravail à Deauville. On répond à une réelle attente des habitants ou résidents secondaires, qui souhaitent prolonger de quelques jours leur week-end à la mer », indique Pierre Hesnée, son fondateur. L’entrepreneur n’est pas le seul à avoir profité du filon : dans la ville et ses alentours, plusieurs autres espaces de travail collaboratif ont vu le jour. Même le mythique hôtel Le Normandy s’y est mis : depuis l’automne 2020, ses clients peuvent bénéficier d’une « escapade télétravail », incluant « une pièce de travail dédiée et deux pauses gourmandes » du lundi au vendredi. L’offre aurait déjà séduit « plusieurs centaines de clients » depuis l’automne 2020, selon le directeur général Frédéric Bessonneaud.
Philippe Augier, maire de la ville depuis 2001, ne s’étonne pas d’un tel succès. Avant même le Covid, l’élu avait pressenti l’attrait de sa commune pour le télétravail. Dès 2012, la communauté de communes Cœur Côte Fleurie a d’ailleurs été la première de France à installer un réseau d’initiative publique (RIP) sur le territoire, afin de raccorder tous ses habitants à la fibre. « Nous menons également une politique culturelle et sportive très forte, nous mettons les moyens sur l’école, la santé, les infrastructures… Ce qui permet de renforcer l’attractivité de la ville, et de la faire vivre toute l’année, contrairement à d’autres stations balnéaires », fait-il valoir.
La tendance a, entre autres, redessiné le marché de l’immobilier. En cinq ans, le prix des logements à Deauville a ainsi plus que doublé, avec un prix moyen du mètre carré atteignant désormais plus de 7 500 euros. Si les spécialistes interrogés par L’Express assurent que le nombre de transactions a tendance à baisser depuis le début de l’année 2023, les prix, qui se sont envolés pendant le Covid, restent hauts. Sur un an, ils ont encore augmenté de 8,7 % selon les chiffres communiqués à L’Express par Meilleurs Agents. Les critères des nouveaux résidents ont changé. « Nos clients parisiens sont très clairs : ils souhaitent vivre à proximité de la gare, bénéficier de la fibre, disposer d’au moins un balcon, d’une terrasse ou d’un petit jardin », liste Romane Rocci, de l’agence Deauville Immobilier, précisant que le marché se tend sur « tout le secteur », comme sur les communes alentour de Touques, Saint-Arnoult, Villerville ou Villers-sur-Mer : « Avant le Covid, il était possible d’y louer à l’année et à des tarifs plus attractifs. Aujourd’hui, l’offre de location s’y fait rare, et les prix de vente ont augmenté de 20 à 30 %… Ce qui entraîne de véritables difficultés à se loger pour les locaux. »
A Biarritz, la bataille des réglementations
A Biarritz, même les agents de la mairie peinent à se loger. « Mon service a fonctionné avec la moitié de son personnel pendant un an, parce qu’on n’arrivait pas à recruter. Ce n’est pas faute de candidats, mais ceux que l’on acceptait n’arrivaient pas à trouver d’appartement », s’agace Maud Cascino, adjointe au maire chargée de l’urbanisme. Si son service est parvenu à se repeupler, ses collègues du bureau d’à côté sont aujourd’hui dans une situation similaire. « C’est valable pour la mairie, mais ça l’est aussi pour les hôtels, pour les restaurateurs… Certains sont même obligés de fermer plusieurs fois par semaine pour compenser le manque de personnel ! », regrette-t-elle. La faute à une offre réduite qui, quand elle existe, dépasse de loin les capacités financières des habitants. Avec un prix moyen de 8 455 euros le mètre carré, la station balnéaire est inaccessible aux petits salaires… et même à une partie des classes moyennes.
D’après l’analyse menée par Meilleurs Agents sur le « pouvoir d’achat immobilier » des éventuels acheteurs, un couple originaire de Biarritz disposant d’un revenu médian ne peut accéder, à ce prix, qu’à 24 mètres carrés. Deux personnes venues de région parisienne pourront, elles, prétendre à 6 mètres carrés supplémentaires. Un petit gain qui fait la différence, dans une ville déjà occupée à plus de 41 % par les résidences secondaires. Prisée depuis longtemps par des retraités désireux de couler leurs vieux jours au soleil, la station balnéaire a été très affectée par l’essor de plateformes de locations courtes, comme Airbnb. Entre 2016 et 2020, le nombre d’annonces pour des locations de tourisme a augmenté de 130 %, selon une étude commandée par la communauté d’agglomération du Pays basque à l’Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées. « Le Pays basque est victime de son attractivité », résume Nikolas Blain, l’un des porte-paroles de la plateforme Se loger au pays, qui se bat pour « un logement accessible à toutes et à tous » dans la région. Manifestations, occupations de maisons, interpellations d’élus… Ce collectif de 32 associations, syndicats et partis politiques alerte les pouvoirs publics face à une crise qui dure depuis déjà plusieurs années.
En réponse, les 24 communes de la communauté d’agglomération du Pays basque ont adopté une réglementation drastique. Depuis le mois de mars, une mesure oblige les propriétaires à compenser un logement transformé en meublé touristique en mettant sur le marché un autre bien destiné à la location à l’année, situé dans la même ville, et avec une surface similaire. Attaquée en justice, puis validée par le tribunal de Pau, la mesure commence à faire effet. « Nous avons déjà identifié 1 000 fraudeurs, explique Maud Cascino. Il ne s’agit pas de petits propriétaires, mais avant tout de sociétés de promoteurs qui doivent s’immatriculer et compenser leurs locations touristiques en logement à l’année. » Les pénalités journalières en cas de non-respect de la législation peuvent aller jusqu’à 1 000 euros par jour. Bien que jugée encourageante, la mesure ne satisfait pas encore, alors que la mairie espère le retour de 10 % des logements sur le marché de la location annuelle. La commune de 25 000 habitants regarde désormais avec amertume ses 4 500 locations touristiques. « Nous ne sommes pas contre le tourisme, au contraire. Mais quand 1 500 Biarrots attendent un logement social, chaque parcelle est une victoire », conclut l’adjointe à l’urbanisme.
A Cancale, la guerre contre « l’industrie du Airbnb »
En marchant sur « la Houle », comme on dit à Cancale pour parler du petit port en contrebas de la ville, on croise, depuis les terrasses de restaurants, des ostréiculteurs en bottes et en salopette. On aperçoit la bisquine, réplique des navires de pêches d’antan qui mouillaient là et, au loin, le Mont-Saint-Michel. Mais ici, pas l’ombre d’un Cancalais avec son caractère bien trempé. Les locaux ont déserté le port depuis plusieurs années. Seuls 80 d’entre eux ont résisté, tandis que la très grande majorité des habitations qui le longent portent l’écriteau : « Location saisonnière ». La ville est victime du même traumatisme immobilier que sa grande voisine Saint-Malo : ici, les habitations secondaires enfoncent la ville dans une crise du logement.
Avec Paris à moins de trois heures en TGV et l’avènement du télétravail, le phénomène s’est accentué. On vit à Cancale le week-end, pendant les vacances scolaires, ou durant l’été, période pendant laquelle la ville voit sa population quintupler. Les investisseurs aguerris y ont vu un filon, la part des résidences secondaires dépasse désormais les 41 %. L’hiver, dans des rues et des quartiers entiers, des enfilades de maisons aux volets fermés. Les nouvelles bâtisses des lotissements les plus récents aux abords de la ville, construits pour remédier à la demande d’installation principale grandissante, s’abandonnent aussi aux locations touristiques, secondaires. S’installer à Cancale, pour y vivre, est devenu un combat. En juin, une seule maison était « à louer » dans les agences immobilières. Selon Erwan Le Nouvel, conseiller municipal d’opposition et membre de la commission urbanisme, « Airbnb est devenue une industrie ici, et fausse la règle du jeu. Les investisseurs n’achètent plus que pour faire du secondaire ou du touristique. Si l’on ne régule pas, l’effet spéculatif sur l’habitat principal va continuer. En dix ans, les prix ont déjà doublé et il est impossible pour un jeune couple de s’installer. »
De fait, la démographie de la ville continue de s’effondrer. Cancale est une des villes les plus grisonnantes de la baie du Mont-Saint-Michel, avec 45 % d’habitants de plus de 60 ans, et 20 % de plus de 75 ans. Et selon une enquête menée en juin 2022, la ville ne devrait pas connaître de relance démographique dans les prochaines années. Un nouveau projet de logement s’apprête à sortir de terre, avec des prix du terrain au mètre carré avoisinant les 500 euros, quand il était à 200 euros il y a sept ans, et à moins de 100 euros il y a dix ans. Certains élus envisagent une charte à destination des promoteurs pour interdire d’y louer pour la saison, sur dix ans. Plutôt qu’une régulation sur la seule ville de Cancale, le maire, lui, attend que la communauté d’agglomération de Saint-Malo ou que l’Etat légifèrent. Le soir, sur la Houle, des hordes de voitures quittent les parkings, celles des travailleurs des restaurants et commerces du port qui rentrent chez eux, loin du littoral, dans « les terres ». L’année dernière, une enseignante, mutée dans une école de la ville, n’a pu s’y loger avec sa famille pendant des mois – même avec l’aide des pouvoirs publics.
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