De Julie Manet (1878–1966), on connaît surtout les portraits peints par sa mère, Berthe Morisot (1841–1895), première femme impressionniste de l’histoire de l’art. Sans compter les dessins, pastels et aquarelles, cette dernière a en effet peint sa fille adorée pas moins de 70 fois.
Bébé, fillette, jeune fille, Julie Manet fut représentée à tous les âges, en train de téter sa nourrice, de lire ou de jouer à la poupée, seule ou accompagnée de ses cousines Paule (1867–1946) et Jeannie (1877–1970) – les filles de la sœur de Berthe, Yves Morisot. Adolescente, on reconnaît Julie à son visage rond et ses longs cheveux châtains, souvent auréolés d’un chapeau champêtre à larges bords.
Une jeunesse entourée d’artistes
Cette exposition n’intègre malheureusement pas ces beaux portraits, dont beaucoup sont conservés au musée Marmottan Monet et dans des collections privées. Celui peint par Renoir, L’Enfant au chat (1887, musée d’Orsay), y est seulement présenté à travers une petite copie au crayon signée Berthe. Mais peu importe, car ce petit parcours vise surtout à mettre en avant les talents de peintre de Julie Manet, longtemps éclipsés par son statut de « fille de » et d’enfant modèle de l’impressionnisme. Pour lui redonner vie, objets et documents s’y mêlent à des œuvres d’elle et de ses cousines, ainsi que d’artistes de leur entourage comme Berthe Morisot, Jeanne Baudot, Auguste Renoir, Édouard Manet, Camille Pissarro et Ernest Rouart.
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Le portrait de Julie Manet peint par Ernest Rouart à l’exposition « Julie Manet et ses cousines. La liberté de créer au féminin » aux Franciscaines, Deauville, 2025
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© Naïade Plante
Après que Berthe Morisot a rencontré Édouard Manet au Louvre, les deux peintres deviennent très proches. Le maître, auteur du sulfureux Déjeuner sur l’herbe (1863), encourage la jeune impressionniste et peint de nombreux portraits d’elle. Mais Édouard est déjà marié. C’est donc son frère, Eugène (qui sera son fidèle assistant et agent) que Berthe finit par épouser. Ainsi, la petite Julie grandit entourée de peintres : son oncle Édouard Manet, sa mère et les amis impressionnistes de cette dernière, dont Claude Monet, Auguste Renoir et Edgar Degas.
Trois cousines inséparables
Les trois cousines imitent Berthe Morisot, qui peignait des femmes de son entourage au naturel, dans leur cadre de vie quotidien, seules ou en duo.
C’est en soignant sa fille que Berthe Morisot contracte la pneumonie qui entraîne sa mort prématurée en 1895. Âgée de seulement 16 ans et demi, Julie emménage alors rue de Villejust dans l’appartement de ses deux cousines, elles aussi orphelines : Paule et Jeannie Gobillard, âgées respectivement de 27 et 18 ans. De 1895 à 1900, les trois jeunes femmes sont inséparables et ne cessent de peindre et de sillonner ensemble la France en train, si bien que le poète Stéphane Mallarmé (ami de Berthe et tuteur de Julie) les surnomme « l’escadron volant ».
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Paule Gobillard, La Lettre [Jeannie Gobillard], v. 1900
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Huile sur toile • Collection Particulière • © Jean-Yves Lacôte
En 1896, Julie Manet expose pour la première fois, au Salon des indépendants, à Paris. C’est auprès de sa mère qu’elle a appris à peindre. Toutes deux travaillaient ensemble sur leurs chevalets respectifs, côte à côte face aux mêmes motifs – une ambiance créative que Julie reproduit avec Paule et Jeannie, elles aussi formées par Berthe. Les trois cousines imitent cette dernière, qui peignait des femmes de son entourage au naturel, dans leur cadre de vie quotidien, seules ou en duo.
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Auguste Renoir, Portrait de Julie Manet, 1899
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Huile sur toile • Collection particulière • © Jean-Yves Lacôte
Peindre est « une grande jouissance », écrit Julie. Comme sa mère, elle pratique assidûment le dessin, le pastel et l’aquarelle, et peint en plein air. L’artiste écoute les conseils de Renoir, apprécie les longues marches en pleine nature, les visites de villes (dont Rouen, où elle admire la cathédrale qu’elle avait vue peinte par Monet), les promenades en barque sur la Seine avec Mallarmé, et prend des photographies qu’elle développe elle-même. Avec une jolie plume, elle relate ses aventures dans son journal.
L’influence de Berthe Morisot
Deux jeunes filles dans un jardin, une Bretonne à coiffe blanche, ses cousines esquissées sur une plage de sable clair… Sans égaler sa mère ou son oncle, Julie peint des œuvres plaisantes et fraîches. Ses couleurs tendres et lumineuses, ainsi que ses coups de pinceau libres portent en eux l’influence des audaces impressionnistes de Berthe et de son cercle. Parmi ses plus belles toiles exposées à Deauville figurent deux natures mortes acidulées, un paysage verdoyant et un portrait féminin prêté par un collectionneur, Jeune femme à l’étole d’hermine (1898–1899).
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Julie Manet, Jeune femme à l’étole d’hermine, 1898–1899
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Huile sur toile • Collection particulière • Photo Joséphine Bindé pour BeauxArts.com
Touches de blanc crémeuses appliquées lestement, palette lumineuse, lignes souples, femme perdue dans ses pensées saisie dans un intérieur, figure féminine dédoublée… : ce tableau contient de nombreux éléments caractéristiques du style de sa mère. S’y décèlent aussi l’héritage de Renoir, et ses muses aux visages ronds et clairs, ainsi que l’influence du japonisme. À l’arrière-plan, deux éventails nippons (références à La Dame aux éventails d’Édouard Manet, 1873) encadrent en effet la nuque du modèle reflété dans un miroir – un détail évoquant un tableau japonisant de James Whistler, mais aussi des toiles de Jean-Auguste-Dominique Ingres et François Boucher.
Certaines œuvres de Paule Gobillard attirent également l’attention, notamment de belles natures mortes de fleurs, et un portrait de Julie Manet enceinte tenant un éventail – en souvenir, peut-être, de sa mère peinte par Édouard Manet. Sur cette toile de 1900, l’air un peu triste de Julie rappelle l’ambiguïté du Berceau (1872), où Berthe représentait sa sœur Edma posant un regard pensif, peut-être teinté de regret, sur le bébé qui a mis fin à sa carrière de peintre…
En 1900, Jeannie épouse le poète Paul Valéry, qu’elle a charmé avec sa plume, ses talents de pianiste et sa connaissance de l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Le même jour, dans la même église, Julie s’unit avec le peintre Ernest Rouart. Restée célibataire, Paule vit avec les Valéry. Si ces deux mariages sonnent le glas de leur ménage à trois, les cousines continuent de se réunir au château du Mesnil, dont Julie a hérité de ses parents. Ce lieu devient un salon artistique et littéraire où les complices se retrouvent régulièrement avec leurs amis, dont André Gide et Odilon Redon.
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Paule Gobillard, Madame Valéry et son fils Claude, vers 1910
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Huile sur toile • 60 × 75,5 cm • Coll. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris • © CC0 Paris Musées Collection
La liberté de Julie et de ses cousines témoigne de l’exemple radieux que fut Berthe Morisot pour les artistes femmes qui lui ont succédé. Jusqu’en 1897, les femmes n’avaient pas le droit d’étudier aux Beaux-Arts ; mais Berthe, dotée d’un fort caractère, s’était formée auprès d’un professeur particulier, puis avait choisi de briser les conventions en allant peindre en plein air, et s’était battue pour réussir. « Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un homme traitant une femme d’égale à égal, et c’est tout ce que j’aurais demandé, car je sais que je les vaux », écrit Berthe en 1890. Cette confiance en elle et cette combativité, l’artiste les a transmises à sa fille et à ses nièces, auxquelles elle affirme que le succès viendra si elles restent vraies et développent leur propre style. Un modèle pour les générations à venir !
Julie Manet et ses cousines. La liberté de créer au féminin
Du 25 janvier 2025 au 11 mai 2025
Les Franciscaines • 145b Avenue de la République • 14800 Deauville
lesfranciscaines.fr
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